Reportage de Françoise Spiekermeier

Une évasion sur le Nil : en Egypte sous l’aile de la déesse Isis

Le Nil invite à glisser vers le sud pour remonter vers sa source. A 600 km en amont des pyramides, son unique boucle est-dit-on, le berceau de la civilisation des Pharaons. C’est le domaine des temples construits en bordure du désert et des tombes royales creusées profondément dans les montagnes dominant le serpent fluvial. C’est là que la déesse Isis vécut, plus de cinq mille ans, dans une parfaite adoration. Admirée, vénérée : symbole de la toute puissance du féminin, les Pharaons édifièrent en son nom les plus raffinés monuments d’art et d’architecture. Déesse absolue, Isis déroule le fil d’or de ce voyage entre Louxor et Assouan.

LOUXOR

Louxor – la Thèbes de luxe et d’or du temps de Ramsès II- s’étire lascive sur la rive Est du fleuve. Est-Ouest, vie-mort, positif-négatif : ici le monde se lit en terme de polarités complémentaires. Cosmopolite, hyperactive, Louxor et ses minarets regardent l’autre rive, endormie, couverte de champs inondés et fertiles, où le blé vert pousse à vue d’œil en bordure du désert libyque. Les végétaux puisent leur fulgurante vigueur dans les limons accumulés au fil des siècles sur une profondeur de plusieurs mètres. L’abondance des récoltes due à celle de l’eau, fut l’une des principales préoccupations des Pharaons. Des crues du Nil dépendaient le succès de leur règne, leur richesse et leur postérité éternelle tout comme la longévité de leur civilisation dont il fut le berceau. Abandonnant les pyramides, les pharaons vinrent ici, sur la rive ouest du fleuve sacré, enfouir leurs tombeauxremplis d’or et de trésors, le strict nécessaire pour un confort digne de l’au-delà.

Le Nil, l’autoroute des Dieux

Le Nil, l’autoroute des Dieux. Il atteignait son niveau le plus haut après les pluies d’été arrosant en amont l’Ethiopie et le Soudan. Sa crue annuelle faisait reculer la terre, inondant tout un réseau de canaux reliant au cours du fleuve les temples bâtis en terrain sec. Un immense lac se formait, les canaux s’inondaient, délivrant les Dieux de leur séjour monotone au fond des sanctuaires éclairés à la flamme… Enfin, ils quittaient le naos (leur tabernacle) pour retrouver la lumière du soleil. Portés sur leurs barques sacrées couvertes d’or et de fleurs, les Dieux soudain circulaient d’un temple à l’autre, parcourant des kilomètres pour rejoindre la résidence de leur aimé. .

Rivales, les deux rives du Nil mènent le jeu.

Bateaux-taxis, ferry public vont et viennent d’une rive à l’autre, coupant la trajectoire gracile des felouques glissant l’aile sous le vent. A l’Est, le Winter Palace, fondé en 1900 par les Britanniques. Il deviendra le QG des archéologues tels que Howard Carter, découvreur du trésor de Toutankhamon. Les bateaux de croisière sont amarrés au quai, au pied du temple de Louxor, ancienne résidence du Sud de Ramsès II  dressée au cœur de la ville… Si dans l’Egypte antique, la vie humaine se bornait à occuper la rive est du Nil, aujourd’hui la rive occidentale regorge de locations pour voyageurs qui s’éternisent dans des guest houses ou des appartements avec balcon et vue sur le Nil. Toutes les nationalités se rencontrent autour de tables et bancs en bois disposés au bord du Nil pour admirer, le soir, les illuminations du temple de Louxor se refléter dans l’eau noire. Si les touristes apportent une manne considérable dans ce décor immuable, en coulisses, les petits ânes qui trottinent sur les chemins de terre le long des champs sans déranger les ibis blancs, restent le principal moyen de locomotion de la grande majorité de la population.

Osiris, Isis et Horus, la divine famille vénérée des humains

Dans une vie humaine, tout tendait vers le maintien du bon ordre du monde. L’offrande, l’accomplissement des rituels ou d’une tâche utile au royaume occupait le cœur de l’existence : chaque jour Dieux, Déesses et leur équivalent sur Terre, Pharaon se devaient d’être comblés. Trois principaux Dieux constituaient la triade divine omniprésente dans le récit mythique gravé sur les murs de granit ou de calcaire: Osiris, Isis et Horus. Osiris, l’époux, Isis l’épouse et Horus leur fils. La divine famille se rendait mutuellement visite une fois par an. Quittant l’obscurité du temple dont l’accès était réservé aux prêtres et au Pharaon, chacun montrait alors aux yeux du peuple toute la splendeur de son visage recouvert d’or. On chantait, on dansait, on buvait, on festoyait sur leur passage pendant des célébrations qui pouvaient durer un mois entier. Une orgie d’offrandes, de bière de vin, de miel, de gibiers, de viandes, de fruits, de pains, d’encens et autres richesses, affluait plus que jamais pour nourrir leur esprit et renforcer leur Force Vitale. De leur contentement dépendait l’abondance des récoltes, les faveurs de la Nature et le bonheur des vivants.

 

Denderah, la maison d’Hathor

Pour prendre son temps, mieux vaut y arriver tôt. Le temple ouvre à 7h du matin quand les doux rayons du jour commencent à caresser les pierres. En quittant Louxor à 5h30, un trajet d’une heure trente sur la Western Desert Road permet de s’offrir le luxe d’une découverte en solitaire bien avant l’arrivée des groupes de touristes. Le taxi de Louxor vous attendra le temps qu’il faut. Aujourd’hui, la déesse, c’est vous. Pour honorer Hathor, vous avez revêtu de beaux habits qui lui font honneur. Les gardiens vous accueilleront en souriant. Hathor, c’est la déesse féminine à tête de vache qui symbolise la Voie Lactée, l’espace céleste où prend place le soleil lors de la création. Hathor veille sur le cosmos dont elle a transmis aux humains la connaissance. Coiffée de deux cornes en forme de lyre enserrant le disque solaire, elle se confond souvent avec Isis qui aime à prendre de multiples formes. Hathor est aussi la déesse de l’amour, de la danse, la dame de l’ivresse, la maîtresse des ballets et des gais refrains. Elle apparait alors en jeune femme agitant un sistre, instrument de musique ressemblant à un hochet, dont le tintement excite les Dieux. C’est l’épouse d’Horus, le Dieu à tête de Faucon.

 

Dans le temple, le trio divin vous accueille

Dès l’arrivée, à gauche du portique d’entrée, un bas-relief les fait trôner en majesté : Osiris, le maître du monde souterrain, le garant de la résurrection humaine, offre du vin à Hathor, l’épouse de son fils Horus, l’enfant royal, garant de la pérennité de la civilisation pharaonique. Les contours de leurs corps sont d’une délicatesse extrême, dévoilés par la transparence de leurs vêtements. Passé le porche couvert de textes indéchiffrables au commun des mortels, on entre dans la cour du temple qui se dresse au bout du dromos, l’allée pavée. La façade monumentale impose sa perfection. Les six colonnes soutenant le toit dévoilent le visage d’Hathor, surmontée d’un sistre : ici, le son, complice de l’esprit divin, s’immisçait dans les moindres recoins. En pénétrant à l’intérieur du temple, silencieux, à peine éclairé par le jour, c’est l’émerveillement : à gauche, douze colonnes et à droite douze autres représentant les vingt-quatre heures du jour et de la nuit. Au plafond suspendu à dix-huit mètres de hauteur, c’est toute la science astronomique de la civilisation pharaonique qui est consignée, mélangée aux mythes et symboles. Les couleurs bleu azur sont parfaitement conservées et laissent imaginer le foisonnement chromatique des origines. Passé ce grand hall, le pronaos, on s’enfonce dans l’obscurité relative, plus près du sanctuaire où trônait la déesse, visible des seuls prêtres.

 

Méditation au sein du temple

 Des guides locaux proposent leurs services aux visiteurs isolés. « Méditation ? » dit-il. Si vous êtes à la recherche d’une expérience « personnalisée », suivez-le dans le dédale des pièces vides gravées de figures divines. Au fond du temple se trouve le saint des saints, le sanctuaire d’Hathor où la statue de la déesse était conservée. Mais le guide vous entraîne dans un couloir latéral conduisant à la chapelle du sistre. « Regardez les bas-reliefs, dit-il : ils représentent des prêtresses d’Hathor jouant de la harpe, du sistre. C’est là qu’elles  jouaient et chantaient les cantiques célébrant la déesse ». Les murs sont couverts de silhouettes de femmes jouant des instruments, de symboles et hiéroglyphes jusqu’au plafond parsemé d’étoiles. La finesse des dessins est une pure merveille. Une échelle permet d’accéder à une niche située en hauteur. Mais une chainette en barre l’accès. « Vous voulez monter ? » Il vérifie que la sécurité n’est pas là et vous ouvre la voie. « Je surveille… Montez ! »… C’est parti pour un quart d’heure d’isolement, à ressentir l’espace, le silence, à se remplir d’une énergie fluide et mystérieuse. A rêver : on aimerait tellement que la vie revienne et se manifeste… Puis on redescend sur Terre, et le guide vous entraine un peu plus loin, dans une succession de cryptes réservées aux initiations. Dans ces étroites pièces souterraines, les prêtres du temple accomplissaient des rituels disparus de nos mémoires mais décrits dans les moindres détails sur les parois. Avant que les guides professionnels n’arrivent avec leurs grappes de touristes, se retrouver seule dans ces lieux est un privilège.

 

Isium, temple d’Isis

A l’arrière du temple d’Hathor, le grand mur exposé au Sud fait face à un petit édifice en partie détruit : le temple d’Isis. Sa construction se perd dans les annales, bien antérieure à celle du temple d’Hathor élevé pendant la période ptolémaïque vers 332 avant J-C., sur des bases plus anciennes. Isis est non seulement la déesse préférée des pharaons mais les grecs et les Romains l’ont adoptée sous les traits de Déméter ou d’Aphrodite, lui élevant des temples sur le pourtour méditerranéen, faisant d’elle une déesse universelle, l’une des figures les plus éminentes de la femme, initiatrice du masculin. Créatrice, source de toute vie, de la Matière et de la Nature, elle est la Rédemptrice, qui rend la vie à son époux, Osiris et lui assure l’existence éternelle dans l’au-delà. Elle est la « Sauveuse », la figure absolue de la Maternité, et ceux qui servent son culte sont des prêtresses, des magiciennes qui détiennent les clés de la guérison. Leur popularité est immense, faisant d’Isis la figure divine la plus recherchée depuis le début de la civilisation égyptienne et ceci pendant des milliers d’années! Approcher ce petit temple, s’assoir devant le sanctuaire fermé par une grille, c’est plonger dans une matrice énergétique qui vous enveloppe de sa douceur bienfaitrice. L’indice de la puissance du lieu réside dans ses restes : si les salles qui entouraient le saint du saint n’ont pas survécu à la destruction -par les premiers Chrétiens- le cœur du temple, l’Isium, lui, a survécu.

 

Cléopâtre, adoratrice d’Isis.

Ce n’est pas un hasard si l’une des rares sinon l’unique représentation de Cléopâtre VII en Egypte se trouve ici, sur le mur arrière du temple d’Hathor. Elle a fait graver sa silhouette et celle de son fils Cesarion, fils de César, l’empereur de Rome faisant une offrande d’encens à Hathor, se plaçant au plus près du petit sanctuaire d’Isis lui faisant face. Ce bas-relief est émouvant car il résume à lui seul l’ambition de la Pharaone de devenir à la fois reine d’Égypte et de Rome et surtout le rêve de puissance d’une mère pour son enfant.

 

Abydos, l’ancienne ville sainte d’Égypte.

A cent kilomètres de là, et deux heures de route de Louxor, dans cette boucle du Nil des origines, se dressent les restes de l’ancienne ville sainte d’Abydos. Tout ce qu’il en reste est le temple de Séthy 1er, le père de Ramsès II. Au premier coup d’œil, son architecture semble sortie du cerveau d’un architecte moderne. Les ligne horizontales, les piliers, la rectitude et la pureté des lignes pourraient venir du béton. Pourtant sa construction remonte à environ 1539 avant Jésus-Christ, il y a plus de 5000 ans. C’est ici que l’on trouve les plus belles figures en relief ciselées dans un calcaire très pur. Les personnages possèdent dans leurs attitudes une grâce respectueuse. Le roi Séthi 1er se représente courbé vers les Dieux dans un geste de vénération : ici l’art du relief atteint sa perfection. Le pharaon fit graver les « tables d’Abydos », la liste des soixante-seize souverains ayant régné jusqu’à lui, deuxième pharaon de la 19ème dynastie dont Ramsès II, son fils, sera le numéro trois. Tant de perfection chez son père ne pouvait que nuire à sa réputation : Ramsès II obsédé par son image, fit donc effacer les textes écrits sur les murs de son temple paternel. Mais il donnait tant de travail aux scribes que ceux-ci fournirent un résultat de piètre qualité. Les textes destinés à effacer les précédents, furent creusés profondément dans la pierre, pour apporter au nouveau pharaon la garantie qu’ils ne seraient jamais effacés. Son étalon fut la démesure. La magnifique exposition qui lui est dédiée à La Villette à Paris du 7 avril au 6 septembre 2023, consacre la superstar qu’il rêvait d’être devant l’Eternel!

La vallée des Rois et des Reines

Sur la rive Ouest de Louxor, on peut découvrir la vallée des Rois et des Reines. Après s’être enfoncé dans les profondeurs des tombeaux où étaient déposées leur momie, afin d’admirer les scènes religieuses peintes dans des couleurs vives, on peut se faire une idée de l’étendue des vestiges vus du ciel en décollant de bon matin pour un tour en montgolfière. Là encore, plus il est matinal, plus le vol est féérique : on s’élève au-dessus des colosses de Memnon tout en granit rose. On découvre toute la splendeur du temple funéraire de la pharaonne Hatshepsout. Le paysage prend de l’ampleur, des confins du désert aux doux cheminement du Nil dans son ruban de verdure.

Autour d’Assouan

Sauter dans un train ou naviguer sur le Nil, pour atteindre Assouan, la dernière ville du sud, permettant de visiter de nombreux autres sites parmi lesquels le plus éloigné, situé à 281 km plus au Sud, au bord du lac Nasser : Abou Simbel. Le temple rupestre de Ramsès 2 construit à l’extrême sud de l’Egypte dans l’ancienne Nubie est une splendeur : creusé dans la montagne, il fut démonté entièrement pour le sauver de l’engloutissement dû à la création du lac artificiel, et reconstruit à l’identique un peu plus loin, mais en conservant son exposition d’origine.  En effet, le célèbre pharaon soucieux de son prestige a conçu le temple d’une manière particulière : sa statue dressée au fond du sanctuaire creusé à l’intérieur de la montagne est éclairée par le rayon du soleil, deux fois par an : le 20 février et le 20 octobre. Le soleil transmet sa force au souverain ainsi confirmé dans son ascendance divine.

Philae, l’autre aile d’Isis

Jusqu’au bout, Isis a protégé l’antique Egypte. Mais c’est ici que son aile s’est repliée à tout jamais sur ses mystères. Le temple dédié à la déesse universelle est construit sur une île en plein milieu du Nil. On y arrive en empruntant un bateau-taxi, ce qui amplifie son apparence de bastion. Car l’isolement du temple de Philae a permis au culte d’Isis de perdurer lorsque l’Egypte n’était plus qu’une province romaine, bien après la disparition de Cléopatre en 30 avant Jesus-Christ :  Isis, la souveraine de tous les Dieux fut aimée des Romains, jusqu’à ce que l’empereur Justinien ne ferme son temple, en 551 de notre ère. Alors les prêtresses et les derniers adeptes disparurent et avec eux, l’antique civilisation pharaonique. Les abords du temple sont magnifiques : une vaste terrasse domine le fleuve. Un portique composé de trente-deux colonnes permet d’atteindre l’entrée monumentale du temple, en pente douce. A deux pas de là se trouve le temple d’Imothep, le grand architecte de la IIIème dynastie, auteur de la pyramide de Saqqarah et de l’invention des pyramides à degrés comme tombeaux royaux. A l’intérieur du temple d’Isis, les reliefs du sanctuaire dévoilent une déesse toute en douceur, donnant le sein à son fils assis sur ses genoux, à la manière d’une Vierge à l’enfant

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